REVUE DE WEB OCTOBRE
La communication et le traitement médiatique de la catastrophe industrielle de Lubrizol, le pitch de la start-up et la bise : voici les thèmes de cette revue de web en ce début d’hiver.
De l’incident industriel au déséquilibre médiatique
La catastrophe industrielle de Lubrizol est riche d’enseignement. Anne-Claire Ruel, conseillère en stratégie d’opinion et enseignante de l’université Paris 13, s’est exprimée sur l’incident de l’usine du groupe américain Lubrizol près de Rouen pour le blog.francetvinfo.fr. Selon elle, les débuts de la communication n’ont pas été convaincants : premier tweet de la préfecture deux heures après le début de l’incendie, déclenchement des sirènes 4h30 plus tard, première déclaration du préfet écartant le risque de « toxicité aigüe » alors que le pompier à ses côtés est plus mesuré, tergiversations des pouvoirs publics et intervention de façon désordonnée des ministres, faible communication de l’usine concernée, soupçons généralisés et la propagation des fake news sur les réseaux. Anne-Claire Ruel en tire des leçons.
Au fur et à mesure des avancées scientifiques, de nouveaux risques (amiante, toxine notamment) sont démontrés et suivent des communications anxiogènes et une perception croissante des risques et des scandales sanitaires, industriels et environnementaux.
A cause de la logique médiatique concurrentielle, les chaînes d’information doivent traiter un flux de nouvelles immédiatement. Mais dans le cas de Lubrizol, le traitement de cette information sur la catastrophe industrielle a retardé la visibilité par le décès du président Jacques Chirac. La suspicion s’est alors diffusée sur les réseaux sociaux : le « système politico-médiatique » aurait dissimulé à une partie de la population les faits. Les émetteurs de communication individuels, politiques, associatifs, syndicaux, professionnels ont ensuite enchaîné des déclarations. Quant aux représentants de l’usine Lubrizol, ils ont préféré de ne pas communiquer et laisser les autorités intervenir, avant de changer de stratégie.
Mais l’historique des crises successives a produit le sentiment que certains risques étaient connus (Tchernobyl, sang contaminé, Médiator), mais volontairement dissimulés alors que ces crises auraient pu être empêchées. A l’heure de l’information instantanée, chacun exige le droit à l’information et une transparence totale et immédiate, refusant la part d’incertitude propre aux connaissances scientifiques et l’idée d’un temps long, utile à la recherche. Toute communication publique, qu’elle soit de crise ou non, s’effectue désormais sur un terrain résolument hostile.
Les risques ne sont plus ressentis comme isolés mais faisant partie de l’histoire. Un risque doit être traitée de manière globale et continue afin de favoriser l’acculturation et donc l’anticipation de tous les acteurs tout en rassurant l’opinion.
L’erreur commise par les autorités dans le cas de Lubrizol a été de vouloir être les porte-paroles de la communication des résultats des scientifiques alors même que leur mission de la gestion de crise devait être d’évaluer la faisabilité et le délai imparti pour chaque action et de préparer l’opinion aux révélations qui seraient l’objet de l’actualité les jours suivants.
Néanmoins, une cellule de crise a été activée mais le jargon trop technique a été mal perçu par une population inquiète pour sa santé. Le préfet de Seine-Maritime a joué alors auprès de l’opinion, le rôle d’un communicant, simple exécutant.
Si quatre membres du gouvernement sont allés sur les lieux pour occuper le terrain médiatique et garantir par leur présence l’innocuité de la situation. Mais leur absence de coordination et leur manque de précision scientifique a entraîné la contestation : l’opposition politique demandant une commission d’enquête parlementaire.
L’opinion publique demande aujourd’hui des pouvoirs publics qu’ils soient capables de mettre en avant les scientifiques afin de s’assurer le pilotage global, de s’ouvrir vers une communication plus responsable, assumant les questions en suspens.
Le traitement médiatique de cet incident industriel a été aussi étudié par Juliette Labracherie, Journaliste à La Revue des médias et Nicolas Hervé, responsable R&D au département de la recherche de l’INA. Si cet incendie aurait pu être l’actualité majeure de ce jeudi 26 septembre, l’annonce du décès de Jacques Chirac a changé la donne. Sur les réseaux sociaux, les médias sont rapidement accusés de distorsion médiatique : alors que les hommages à l’ancien président de la République se multiplient, les informations sur l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen auraient, elles, déclinées.
L’INA a analysé ces différences médiatiques de ces 2 évènements sur plusieurs jours (du jeudi 26 au lundi 30 septembre) sur les quatre principales chaînes d’information en continu : franceinfo, BFM TV, LCI et CNews. La plateforme OTMédia, développée par l’INA, révèle que l’annonce du décès de Jacques Chirac, a dominé sur trois des quatre jours suivants.
Jeudi matin, entre dix heures et midi, 62 % du temps d’antenne était consacré à l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen. Mais après l’annonce du décès de l’ancien Président de la République, les sujets sur la catastrophe industrielle disparaissent rapidement et complètement à partir de 14 h et jusque minuit. Mais la médiatisation de ces deux événements s’équilibre le samedi suivant. Durant quatre jours, plus de la moitié du temps d’antenne est consacrée à Jacques Chirac.
Puis l’hommage populaire du dimanche 29 septembre et le deuil national du lundi 30 septembre occupe une place importante dans l’actualité, au détriment de l’incendie de l’usine Lubrizol : plus de 50 % du temps d’antenne consacré à Jacques Chirac ; respectivement 5 % le dimanche et 7 % le lundi à l’usine Lubrizol), alors que sur les réseaux sociaux, l’intérêt augmente par rapport à l’accident, ses conséquences, et son traitement médiatique. À partir de samedi, il est plus question de l’incendie de l’usine Lubrizol que de Jacques Chirac sur Twitter.
Sur Twitter, le 26 septembre, la mort de Jacques Chirac supplante l’incendie de Rouen, avec une estimation de plus de 120 000 tweets entre 12 h et 13 h. Le lendemain, contrairement aux médias d’informations en continu, l’incendie de l’usine Lubrizol est autant traité que le décès de l’ancien président.
Sur les cinq jours, BFM TV est la chaîne d’information en continu qui a accordé le plus d’heures d’antenne à l’incendie, avec une moyenne de 13 %, et 56 % à Jacques Chirac, soit un rapport d’environ 1 à 4. Samedi 28 septembre, le traitement de l’usine Lubrizol est plus important (15% de son temps d’antenne), contrairement aux trois autres médias. Quant à la chaîne de télévision Franceinfo, le traitement des 2 sujets est presque similaire, avec un temps d’antenne pour Lubrizol de 12 %, contre 53 % pour le décès de Jacques Chirac, soit un même rapport de près 1 à 5.
Enfin, la mise en récit est beaucoup plus complexe pour l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen. Face au décès de Jacques Chirac, l’incendie est considéré comme un événement local aux répercussions encore abstraites.
Le pitch et l’embrassade
L’exercice oral du pitch n’est pas sans critique. Pour le site Internet de The Conversation, Romain Buquet, Researcher & lecturer, entrepreneurship & engagement à l’ESCP Europe et Laetitia Gabay Mariani, chercheure en sciences de gestion à l’Université Grenoble Alpes analysent le pitch, l’exercice chronométré de communication orale qui consiste à mettre en valeur son projet face à un partenaire ou investisseur potentiel.
La présentation de son projet dans un format oral court, dynamique et engageant se révèle une véritable performance de storytelling. Le discours pour une start-up demeure l’unique moyen de partager un projet, une réalité avec les différentes parties prenantes (investisseurs, partenaires, clients, premiers employés, etc.). A partir du pitch, une organisation naissante se légitimise afin de recueillir les ressources nécessaires à son développement.
Cette performance est travaillée et répétée, notamment dans les incubateurs et autres structures d’accompagnement, où des concours de pitch sont préparés régulièrement. Ces codes sont issus principalement de la Silicon Valley. De plus, le vocabulaire utilisé est majoritairement anglophone.
Le pitch fait appel à de techniques garantissant l’efficacité du discours de l’entrepreneur. Parmi elles, figurent la structuration de son argumentaire selon le diptyque expose – propose : la description initiale d’un problème, puis la proposition d’une solution innovante. Des chiffres clés impressionnants ou une anecdote personnifiée permet aussi de générer de l’empathie.
Ensuite, des estimations plus ou moins chiffrées démontrent pourquoi et comment cette solution peut générer des profits sur un marché mature. Un compte-rendu rapide des étapes déjà réalisées et des réussites obtenues permettra également de convaincre de la solidité du projet. Enfin, l’entrepreneur annonce ses objectifs – recruter, lever de l’argent, inviter à un évènement – et appeler son audience à agir à son tour (call to action).
En outre, le non verbal joue un rôle important pour séduire son oratoire : sourire, balayer l’audience du regard, adopter des postures d’ouverture, se montrer enthousiaste et dynamique.
Cette pratique normée du discours entrepreneurial soulève, pour les auteurs, de réelles questions éthiques. Selon les chercheurs, elle influence la nature du projet. La méthodologie du pitch n’en fait donc pas seulement un exercice normé, mais aussi normatif. Ainsi, les projets tendent vers un idéal-type de start-up et intègrent deux nécessités absolues. La première : un potentiel de croissance très important, avec des investissements faibles. Quant à l’autre impératif : un problème à résoudre, voire à disrupter.
Ainsi, ce dispositif conçu pour développer la créativité et l’innovation se retrouve paradoxalement à empêcher les modèles déviants, éloigner les idées alternatives et formater les projets.
Pour finir ce billet, voici une touche plus légère avec l’analyse de la pratique de la bise par Mathieu Avanzi, maître de conférences en linguistique française à Sorbonne Université consultable sur le site Internet The Conversation. Ce rituel fait l’objet d’échanges réguliers sur la Toile depuis une quinzaine d’années. Majoritairement, les Français font deux bises sauf dans le Languedoc et la partie sud de l’ex-région Rhône-Alpes. Enfin, faire quatre bises est une habitude plus fréquente chez les seniors que les juniors.