SCIENCE, IA ET INFO
La place de la science dans les débats, l’apport de l’IA dans les médias, l’attitude des journalistes face au greenwashing, la désinformation et le climat figurent parmi les sujets abordés dans cette revue de web de novembre.
Science, technique et médias
Une science pure n’existe pas et pollue les débats. Le journaliste du site Internet d’Usbek & Etrica, Matthieu Giroux, a interviewé Bernadette Bensaude-Vincent, professeure émérite de philosophie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Gabriel Dorthe, chercheur en anthropologie des sciences. Dans l’ouvrage « Une culture de la défiance » édité par la maison d’édition du Seuil, ces experts analysent les positions sur la science pendant la crise de la Covid-19. Selon eux, il est contre-productif de nier la dimension politique de la recherche scientifique.
Pour Gabriel Dorthe, les « complotistes » et les « gardiens de la raison » ont besoin les uns des autres. Les premiers s’indignent devant une absence de débat démocratique à cause des élites autoritaires, les seconds veulent élargir le spectre du « complotisme » et renvoyer leurs opposants à l’irrationalité. On peut l’illustrer par exemple avec d’un côté Didier Raoult, de l’autre, Olivier Véran ayant une double légitimité politique et scientifique avec un succès relatif.
De plus, Gabriel Dorthe et Bernadette Bensaude-Vincent se sont intéressés surtout au « complotisme » lors des crises climatiques et du Covid-19. Ils ont noté que les « complotistes » et les « gardiens de la raison », adoptaient une attitude similaire de soupçon. Ils disqualifiaient les personnes qui ne sont pas d’accord avec eux. À la méfiance du public vis-à-vis des experts et des politiques, s’ajoutait celle des politiques vis-à-vis du public.
Selon Bernadette Bensaude-Vincent, il n’existe pas de vérité absolue. La vérité dépend, en effet, du prérequis que partagent normalement les membres d’une communauté scientifique. Mais elle relève plutôt de la confiance. Par ailleurs, selon de nombreuses études, cette image de la science pure et désintéressée existe dans l’opinion publique, comme une sorte de référence à laquelle on cherche à se raccrocher. Mais les intérêts divers de la recherche scientifique sont explicites. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, la recherche est pilotée par des politiques scientifiques, provenant de l’État ou du secteur privé qui l’orientent vers des objectifs comme la puissance militaire, la compétition économique, la santé et l’environnement. Selon les experts, les politiques scientifiques négligent des domaines très importants de la recherche tel que le réchauffement climatique ou la lutte contre les inégalités sociales. Ainsi des domaines plus rentables comme l’intelligence artificielle sont privilégiés.
Enfin, pour Gabriel Dorthe, l’idéal de la science pure intoxique les débats. La synthèse pour les décideurs du GIEC est considérée comme fiable parce qu’elle a été filtrée et négociée par les délégations politiques. Sa force de consensus reposant sur une science robuste, résulte, en effet, de l’acceptation par toutes les parties prenantes dans un dispositif de négociation international inédit.
L’intelligence artificielle (IA) est-elle un outil bénéfique ou néfaste pour les médias ? Dans un article pour le site Internet The Conversation, Laurence Devillers, Professeur en Intelligence Artificielle à la Sorbonne Université répond à cette question en déclarant que l’IA générative promet d’importants gains de productivité dans le secteur des médias. En juillet dernier, le Comité national pilote d’éthique du numérique (CNPEN) a donné un avis général sur les enjeux d’éthique des IA génératives précisant notamment les risques de ces systèmes. Les médias peuvent faire appel à l’IA afin d’améliorer la qualité de l’information, combattre les fausses nouvelles, identifier le harcèlement et les incitations à la haine, faire avancer la connaissance et mieux comprendre des réalités complexes telle que le développement durable ou les flux migratoires.
Les IA génératives sont des systèmes permettant de gagner du temps de recherche d’information, de lecture et de production. Elles contribuent aussi à lutter contre les stéréotypes et à optimiser des processus. De plus, avec des outils comme ChatGPT, il est possible de consulter et de produire à partir d’un ensemble d’informations gigantesques. Ces IA peuvent donc être extrêmement utiles pour de nombreuses tâches comme contribuer à un flux d’informations non sourcées. Il faut donc les apprivoiser et en comprendre le fonctionnement et les risques.
Toutefois, l’avis du CNPEN met en garde contre des risques de l’IA génératives identifiés pour les médias. Il ne faut donc pas faire trop confiance à l’IA sans recouper avec d’autres sources. De plus, il ne faut pas oublier que ChatGPT est construit avec des données majoritairement en anglais et que son influence culturelle peut être donc importante. En outre, l’utilisation massive de ChatGPT dans les médias entraineraient une forte production de nouvelles données artificielles non vérifiées sur Internet qui pourraient ensuite servir à entraîner de nouvelles IA. Par ailleurs, la création d’interfaces avec des mesures de confiance est nécessaire pour aider la coopération entre les humains et les systèmes d’IA. Si l’utilisation des systèmes d’IA devient une nécessité absolue, il faut aussi pouvoir s’en passer.
De plus, la loi sur l’IA réclame plus de transparence sur ces systèmes d’IA afin de vérifier leur robustesse, leur non-manipulation et leur consommation énergétique. Il faut aussi vérifier que les données produites ne soient pas au détriment du droit d’auteur et que les données utilisées par le système soient correctement utilisées.
Enfin, il est important de vérifier la fiabilité des sources des images et vidéos. Ainsi, des filigranes (ou watermarks) dans les textes, images ou vidéos produites sont envisagés afin d’indiquer si elles ont été faites par des IA ou produites par des humains.
Du greenwashing au climato-scepticisme
Les journalistes peuvent également confrontés au greenwashing. Pour le site Internet d’Influencia, le journaliste Frédéric Thérin révèle une étude de l’agence de relations publiques Oxygen indiquant que les médias se méfient des engagements RSE des entreprises. Les journalistes montrent, en effet, un intérêt de plus en plus important aux thématiques liées à la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), selon une étude de l’agence de RP. Or les sujets concernant la RSE et les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont de plus en plus traités dans les médias : réchauffement climatique, pollution, énergies renouvelables… De plus, un nombre croissant d’articles et d’émissions alertent sur la situation de plus en plus préoccupante de la planète.
Les trois-quarts des 200 journalistes français interrogés par l’agence parisienne considèrent que les thématiques « green » occupent une place croissante dans leur média. 65% des répondants déclarent être de plus en plus sollicités pour des sujets traitant ces problématiques.
94% de ces sondés ont déjà eu l’impression que les organisations communiquaient sur des sujets écolos afin d’être plus visibles dans les médias. Ainsi, 80% d’entre eux sont prudents lorsqu’ils reçoivent une communication autour de la RSE, du développement durable et des engagements environnementaux. Cette défiance est augmentée par le fait qu’un tiers des journalistes affirme rencontrer des résistances lorsqu’ils traitent ces sujets. Leur faible expertise, l’absence de preuves concrètes de la part des organisations et leur manque de temps sont les raisons les plus citées de leur relative faible couverture.
Plusieurs associations de consommateurs membres du Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), ont tout récemment déposé une plainte au niveau européen contre plusieurs fabricants de bouteilles en plastique. Des grandes marques comme Coca-Cola, Danone et Nestlé Waters sont accusées de diffuser « des allégations commerciales trompeuses sur la recyclabilité de leurs bouteilles ».
En outre, Carbo qui s’est fixé comme mission d’accélérer la prise de conscience écologique, a noté, dans un article, les cinq techniques les plus utilisées du greenwashing. La première technique est le détournement d’attention consistant à mettre en valeur certaines de ses « bonnes actions » alors qu’elles ne représentent qu’une partie infime de ses mauvaises pratiques. Les marques de fast fashion en sont des exemples avec leurs trois tee-shirts en « nylon recyclé » parmi les milliers de références polluantes. Le manque de transparence est une autre pratique courante quand, par exemple, EDF ou TotalEnergies mettent en avant leurs éoliennes et ne communiquant pas sur leurs centrales nucléaires et leurs forages pétroliers. Intermarché a, quant à lui, été critiqué en 2011 pour avoir créé un faux label censé vanter ses pratiques en matière de pêche éco-responsable. Par ailleurs, l’utilisation excessive de belles images écolos telles que des arbres et des fleurs sur les packagings vise, lui, généralement à tromper le consommateur.
Enfin, le moteur de recherche Ecosia et l’Université technique de Berlin ont mis au point un score d’engagement climatique des entreprises permettant de distinguer les marques les plus vertueuses.
Le climat est également l’objet de désinformation. Le festival des médias de demain, « Médias en Seine », organisé par LesEchos-Le Parisien et France Info propose, sur You Tube, une vidéo d’une intervention de David Chavalarias, chercheur en sciences sociales computationnelles à propos de la désinformation et du climat. Ce chercheur y présente le climatoscope analysant automatiquement des millions de tweets. De plus, il expose son étude décrivant certaines stratégies mises en œuvre par les militants climatosceptiques et dénialistes sur Twitter. Elle quantifie leurs effets et met en avant des motivations géopolitiques. Cette recherche s’appuie sur les méthodologies développées au CNRS au CAMS et à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris.