IA, CLIMAT, MARS ET MEDIAS
Les relations entre l’intelligence artificielle et le journalisme, le traitement médiatique du climat et la diffusion d’une fausse image de Mars : voici les thèmes de cette revue de web de juillet.
L’IA et la presse
Le site Internet de la revue CB News a relayé la dépêche de l’agence de presse AFP relatant que Google est en train de mettre au point un nouvel outil d’intelligence artificielle afin d’aider les journalistes à rédiger leurs articles, en partenariat avec plusieurs grands noms de la presse.
Ainsi, le New York Times, le Washington Post et le Wall Street Journal figurent parmi les médias impliqués ainsi que d’autres entreprises. Un porte-parole de Google déclare que « Nous sommes dans une phase d’exploration des idées pour potentiellement fournir des outils d’IA qui aideront les journalistes à faire leur travail. Ces outils ne sont pas conçus pour, et ne peuvent pas, remplacer le rôle essentiel que jouent les journalistes en matière de récolte et de vérification de l’information, et de rédaction des articles. » L’idée est de concevoir des fonctionnalités d’aide à l’écriture similaires à celles présentes dans Gmail ou Google Docs, mais leurs spécificités résident dans le fait qu’elles proposent différents titres ou styles d’écriture aux journalistes. Par ailleurs, OpenAI, la start-up californienne qui a créé ChatGPT et un autre leader de l’IA dite « générative », a récemment noué des accords avec des organisations de presse.
Comme les données sont nécessaires pour entraîner ses modèles de langage, la société a obtenu l’autorisation d’utiliser les archives de l’agence de presse américaine Associated Press (AP) depuis 1985. En échange, AP aura accès « à la technologie d’OpenAI et à son expertise. La start-up versera également 5 millions de dollars au American Journalism Project, une organisation qui soutient de nombreux médias locaux, et jusqu’à 5 millions de dollars de crédits afin de faire appel à son interface de programmation (API) et ainsi aider les journalistes à intégrer des outils d’IA dans leur production. Néanmoins, le succès de l’IA générative, capable de produire toutes sortes de textes ou images sur simple requête en langage courant, engendre beaucoup d’inquiétude de la part des créateurs de contenus.
L’IA a aussi inspiré des jeunes reporters du Festival International du Journalisme. Agés entre 12 à 17 ans, ces apprentis journalistes ont réalisé des reportages et des interviews en story Snapchat. Ils nous proposent sur YouTube cette vidéo : « Qu’est-ce que l’intelligence artificielle peut-elle nous apporter de bon ? » où des journalistes témoignent sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans leur métier :
Du changement climatique à Mars
Le nouveau présentateur de la météo sur M6, Mac Lesggy, a été contesté par deux spécialistes du climat à propos de ses déclarations sur les actions contre le changement climatique. Tous les samedis, un édito médias est envoyé la veille de la newsletter hebdomadaire gratuite d’Arrêt sur Images. Dans un éditorial consacré à l’animateur, le journaliste Loris Guémart a cité l’agrométéorologue Serge Zaka : « S’il n’y a qu’une seule chose que les médias devraient diffuser aujourd’hui. La Terre bat quotidiennement son record de température absolue (tous mois confondus) avec une marge statistiquement incroyable. 17.18°C, battant les 17,01 d’hier. Il faut changer l’échelle. Réagissons.«
« Le réchauffement climatique causé par l’homme va aller en s’amplifiant pendant des décennies« , a commenté Mac Lesggy sur Twitter. « Il est inarrêtable à court ou moyen terme« , a-t-il ajouté, concluant : « Seule une politique active d’adaptation permettra d’en limiter les conséquences. » Le journaliste a considéré que cette déclaration relève d’un climato-optimisme technologique se basant sur l’adaptation humaine au dérèglement. Selon lui, ce récit médiatique et politique de l’animateur-vulgarisateur-publicitaire de M6, défend l’agro-industrie française.
Par ailleurs, Loris Guémart a noté que lors de la conférence de presse de présentation de la saison à venir, Guillaume Charles, chargé des antennes et des contenus du groupe M6, s’était réjoui de faire de l’animateur de E=M6 le présentateur d’une “météo instructive » qui luttera « contre les contre-vérités » sur le climat.
Or deux chercheuses spécialistes du dérèglement climatique, l’ont accusé de désinformation. « Le réchauffement futur n’est pas acté par les émissions de gaz à effet de serre passée ou la réponse du climat. Si les émissions mondiales étaient mises à zéro, il n’y aurait quasiment pas de réchauffement supplémentaire« , a répondu Valérie Masson-Delmotte sur Twitter dans un premier temps. Mac Lesggy lui a renvoyé : « Il n’existe malheureusement aucun consensus politique et/ou technique sur les moyens de baisser rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Leur concentration dans l’atmosphère va donc augmenter, et le réchauffement climatique anthropique avec« .
« Bonsoir, votre message est identifié comme l’un des discours d’inaction («change is impossible »), en décalage avec l’état des connaissances.« , a alors déclaré la climatologue. En ajoutant une image et un lien vers une étude des différents types de discours aboutissant à retarder les actions pour lutter contre le dérèglement climatique. La scientifique a ajouté : « Il ne reflète pas l’état des connaissances concernant les limites à l’adaptation, et ne reflète pas l’état des connaissances montrant la capacité (options d’action dans tous les secteurs, politiques publiques) à infléchir les émissions de gaz à effet de serre.«
Mais Mac Lesggy, a continué, tweet après tweet, à maintenir que « l’atténuation n’est, en pratique, pas à notre portée », qu’à « un moment, il faut arrêter de se bercer d’illusions« . Cela avait fait réagir Magali Reghezza, géographe et membre du Haut conseil pour le climat : « Nous vivons dans un monde où le monsieur choisi par M6 pour vulgariser les connaissances sur le climat fait la leçon à la vice-présidente du 1er groupe de travail du Giec. Heureusement, nous vivons aussi dans un monde où, en moins de 280 signes. De plus, elle a remarqué : « La vulgarisation, ce n’est pas véhiculer les ambiguïtés sinon des mensonges au nom de la simplification. »
La géographe avait ajouté : « Comme d’autres vulgarisateurs, c’est quelqu’un qui est entré dans nos foyers quand on était gamins, il a aussi cette confiance qu’on accorde à ces personnages médiatiques. Valérie Masson-Delmotte ne fait que reproduire un consensus scientifique issu de dizaines de milliers d’articles scientifiques dans le monde entier. Attaquer la porte-parole avec cette morgue, cette arrogance, cette suffisance, alors même qu’il va être chargé de présenter ces sujets, de les vulgariser sur une chaîne de grande écoute, c’est tout de même assez inquiétant… » Elle a alors soulevé la question de la désinformation. Enfin, la chercheuse a conclu : « Malgré le temps que les chercheurs passent à faire le vrai du faux, le mal est déjà fait. C’est pour ça qu’on essaie de convaincre l’ensemble des médias que quand on laisse la parole à quelqu’un qui va émettre une erreur ou un mensonge à coups de punchlines, quand il parle devant cinq ou six millions de personnes, que voulez-vous qu’on fasse, même avec des debunks ?«
En outre, l’image peut être trompeur. Sur un cadre simple et une toile composée de ruban adhésif, se détachent des touches pastel brunes et orangées. Ce n’est pas une œuvre d’impressionnistes, mais celle d’ingénieurs de la NASA, exposée près de High Bay 1, la salle d’assemblage du Jet Propulsion Laboratory de la NASA, en Californie. Pour le site Internet de Slate, le journaliste Alix Champlon raconte cette histoire étonnante.
Si en 1965, l’image avait été largement diffusée sur les écrans, elle avait été présentée comme la première photo de la planète Mars et la première photo d’une autre planète que la Terre prise depuis l’espace.
Pourtant, il ne s’agissait pas d’une photographie mais d’une représentation en couleurs de données capturées et envoyées à la Terre par la sonde spatiale Mariner 4, le 15 juillet 1965, alors qu’elle s’approchait au plus près de la planète rouge.
Jusqu’alors, la meilleure résolution d’image de la planète Mars était celle prise depuis un télescope terrestre, en 1956. La mission Mariner 4 devait, quant à elle, relever un défi de taille : prendre des images de la planète depuis l’espace. Ainsi, le 28 novembre 1964, la sonde a commencé un voyage de 228 jours pour rejoindre Mars.
Dotée d’une caméra de télévision et de six autres instruments d’étude, Mariner 4M a transporté le premier système d’imagerie numérique utilisé en dehors de la Terre. Mais le débit de sa prise d’image et de sa transmission était très lente. Ainsi, il fallait dix heures pour relayer une seule image vers la Terre.
Pour les journalistes réunis pour l’occasion, ce délai était trop long. Afin de répondre à leur demande pressante, Richard Grumm, qui dirigeait les opérations du magnétophone conçu pour enregistrer les données de Mariner 4, a adopté une stratégie. Il est alors parti dans un magasin d’art local à la recherche de craies. Au départ, il souhaitait différentes nuances de gris, puisque les données ne retranscrivaient que la luminosité. Comme le magasin n’avait que de pastels colorés. L’ingénieur et son équipe ont créé alors une palette de couleurs constituée de rouges, de bruns et de jaunes.
Ainsi, sur une toile composée de rubans adhésifs, les ingénieurs ont converti les données numériques de Mariner 4 en chiffres qui ont reflété la luminosité d’un pixel et qui, rassemblés, ont permis de réaliser les contours de la planète. À mesure que l’équipe a colorié les chiffres, la planète est apparue : le brun foncé a reflété le vide de l’espace, les couleurs les plus claires ont représenté Mars, et l’orange les nuages de l’atmosphère martienne.
Malgré les réticences de l’équipe de communication du JPL, les journalistes ont diffusé l’image « colorée par les chiffres » avant la publication de la vraie photo effectuée par la sonde. Ainsi, ils ont fait de l’œuvre d’art, le premier « cliché » de Mars depuis l’espace à être diffusé à la télévision.