ENVIRONNEMENT, SANTE ET MEDIATISATION
La parole des dirigeants, la santé, l’environnement et les médias : voici des sujets de cette dernière revue de web de 2023.
Le langage managérial et les réseaux sociaux
Le langage des chefs d’entreprise se standardise. Pour le site Internet des Echos, Armand Caïazzo, le Président-Fondateur de Tell Me, constate qu’une novlangue managériale se propage en particulier dans les discours « responsables ». Selon lui, pour mobiliser et impacter, il est nécessaire avant tout d’exprimer avec l’émotion.
Suite à l’été 2022, le deuxième été le plus chaud jamais enregistré en France, après celui de 2003, la conscience collective des risques climatiques a augmenté. La parole responsable des dirigeants d’entreprises sur ces questions n’a jamais été aussi sollicitée. Cela a été véhiculée par les réseaux sociaux, notamment sur LinkedIn, nouveau porte-voix des présidents et directeurs généraux, lesquels ont augmenté leurs déclarations sur les sujets environnementaux de 47 % entre 2021 et 2022 (source LinkedIn).
Les deux ans de Covid-19 ont aussi rendu plus indispensables ces interventions répétées diminuant la distance contrainte des dirigeants qui réunissent leurs publics internes et externes autour de sujets désormais considérés comme vitaux.
Par ailleurs, une étude réalisée par Madame Langage, un cabinet expert en langage, a analysé des centaines de prises de parole de dirigeants d’entreprises et de licornes de février à juin 2022. Elle a confirmé cette tendance d’une « parole responsable ». Elle note que les dirigeants mettent de côté des sujets de société majeurs comme ceux des « entreprises à mission ».
En outre, Armand Caïazzo note un langage standardisé appauvrissant la pensée et ne faisant pas face à des sujets d’engagement et de responsabilité. Selon lui, une novlangue managériale imprègne toujours le discours « responsable » des dirigeants, influencés par de consultants qui diffusent des messages de« bien-pensance ».
Ainsi, néologismes et anglicismes en vogue envahissent le langage du dirigeant, et parmi le lexique du développement durable, figurent les mots « territoire, solidarités, diversités, énergies décarbonées, finance verte, changement climatique, parties prenantes ».
Admiré ou détesté, Elon Musk ne laisse personne indifférent. Sur le Blog du Communicant 2.0, Olivier Cimelière, journali-communicant constate que depuis son acquisition de Twitter en octobre 2022, le PDG crée des clivages en prenant des décisions rapides, de provoquer et de faire revenir des profils contestés précédemment interdits par l’oiseau bleu.
Pour faire partir les plus récalcitrants de Twitter, Elon Musk a rédigé un courrier interne : « Pour bâtir un Twitter 2.0 révolutionnaire et réussir dans un monde de plus en plus concurrentiel, nous allons avoir besoin d’être à fond, à l’extrême. Cela signifie travailler de longues heures à haute intensité ». En conclusion, il a invité ses employés à cliquer sur la réponse « Oui » avant le jeudi 17 à 17 heures. Ceux qui se sont abstenu ou qui répondaient négativement, étaient licenciés.
Dans son obsession de productivisme poussé à l’extrême, Elon Musk a aussi transformé certains bureaux du siège de San Francisco en dortoirs et certains espaces sont même dotés de machines à laver. Son but : inciter les salariés à rester sur place et à travailler plus au lieu de passer du temps dans les transports.
En outre, Olivier Cimelière cite la Professeure spécialiste des réseaux sociaux à l’université UCLA, Sarah Roberts : « Il se conduit comme une petite brute de cour de récré. Toute critique de ses déclarations largement inexactes sur la technologie valent un renvoi immédiat ».
Ingénieur informatique français, Emmanuel Cornet a été, quant à lui, choqué par l’absence de respect : « J’ai l’impression que Musk aime beaucoup l’humanité mais pas beaucoup les humains […] Sur le long terme, objectivement, il semble essayer d’aider la planète, avec les voitures électriques, notamment […] Mais les gens autour de lui semblent jetables […] Je pense qu’on avait des œillères. La plupart des employés ont essayé de lui donner le bénéfice du doute le plus longtemps possible, aussi parce que trouver un autre boulot ce n’est pas forcément facile ».
La sécurisation et la confiance de la plateforme sont aussi remises en question. En août dernier, Peiter Zatko, l’ancien chef de la cybersécurité avait déjà dévoilé à la presse les nombreuses failles de sécurité de Twitter en matière de protection des données personnelles des utilisateurs. . Ex-responsable de l’intégrité du réseau social, Yoel Roth a dénoncé publiquement le fait que Twitter n’était plus un lieu sûr. De plus, les équipes de modération des contenus sont réduites. Selon Yoel Roth, la seule modération encore active relève essentiellement des algorithmes mais elle est insuffisante.
Par ailleurs, Elon Musk déclare via un communiqué : « À partir du 23 novembre 2022, Twitter n’applique plus le règlement concernant les informations trompeuses sur le Covid-19 ». Twitter est véritablement devenu le porte-voix numérique du « personal branding » d’Elon Musk avec tous les excès liés au personnage. Celui-ci critique systématiquement les journalistes le contredisant. Plus récemment, il a attaqué verbalement le docteur Anthony Fauci, le conseiller sortant de la Maison-Blanche sur la pandémie de Covid-19 en insinuant que l’expert aurait bénéficié de la crise sanitaire. Enfin, Elon Musk est un colporteur de fake news. Or avec plus de 121 millions d’abonnés sur Twitter, il dispose d’un fort pouvoir de nuisance.
Du médical à l’environnement
L’information médicale se dénature aussi au fil des tweets. Dans un article sur le site Internet de The Conversation, Diana Nurbakova, enseignante-chercheuse en informatique de l’INSA Lyon et de l’Université de Lyon, Irina Ovchinnikova, Technical and Content Writer, Marcom, Translator and Editor. ManPower Language Solution et Liana Ermakova, Enseignante-chercheuse en informatique de l’Université de Bretagne occidentale ont analysé la déformation de l’information médicale dans les tweets. La pandémie de Covid-19 a entraîné une quantité importante de données et de discussions sans précédent. Au début de la crise sanitaire lors de la première moitié de l’année 2020, un des sujets majeurs discutés sur les réseaux sociaux concernait le traitement de la maladie qui était alors un sujet controversé.
Parmi les top-36 personnes publiques par rapport à la popularité de leurs tweets, figurent les politiciens (Donald Trump, Hillary Clinton), les représentants du domaine de la santé (Anthony Fauci), les journalistes (Nail Cavuto) et les hommes d’affaires (Bill Gates, Elon Musk).
Tout d’abord, le sujet a évolué au fil de la discussion. Souvent le sujet médical est déplacé vers les conflits politiques et commerciaux. En particulier, les followers des politiciens soutiennent les différents médicaments contre le Covid-19.
Par exemple, la veille des élections présidentielles aux États-Unis en 2020, la discussion de la pandémie correspondait à la confrontation Républicains-Démocrates. La politisation de la discussion médicale augmentait la diffusion de l’information modifiée dans les discussions sur les réseaux sociaux. Dans les discussions, il y avait des références aux théories du complot (notamment, autour de Big Pharma) et aux fake news. Les discussions déviaient sur d’autres maladies comme le lupus, le sida, les virus zika et ebola.
La surgénéralisation de l’expérience personnelle est également notée. En outre, l’altération de l’information médicale apparaît via des références aux sources peu fiables ou même contestables comme des expériences non vérifiées de certains praticiens. Dans les discussions, l’information médicale était modifée avec la vision simplifiée des procédures de traitement de la maladie. Ainsi, la prescription de l’hydroxychloroquine était jugée comme une étape importante du processus de guérison. Son retard causé par les procédures bureaucratiques, l’approvisionnement insuffisant ou le délai de livraison était donc parfois considéré comme une violation des droits de l’Homme ou une manifestation de la théorie du complot de Big Pharma.
Par ailleurs, les expertes constatent que la polarisation d’attitudes peut être expliquée par la polarisation de groupe. L’attitude du groupe vis-à-vis de la situation change, en effet, en intensifiant les attitudes initiales des individus après la discussion.
Enfin, l’emploi des informations erronées, surtout dans le domaine de la santé publique, peut conduire à une mauvaise compréhension des enjeux majeurs et mettre la santé et la vie des gens en danger.
En temps de fêtes, il est donc important de faire attention au contenu de son assiette. Pour le site Internet d’Usbek & Rica, Pablo Maillé, journaliste, a interrogé Mathilde Touvier, directrice de l’Équipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (EREN-CRESS) sur les rapports entre les recommandations nutritives officielles et les réseaux sociaux. Il a observé que de plus en plus de personnes suivent des pratiques alimentaires (le jeûne, le cru…) dont ils ont entendu parler via leurs réseaux sociaux ou leurs cercles proches.
Selon Mathilde Touvier, le domaine de la nutrition et de la santé est un terrain très favorable aux fake news et au développement de produits, régimes et autres stages en tout genre, parfois avec des intérêts économiques derrière. Les rumeurs non-prouvées cohabitent avec les faits avérés et les vérités scientifiques ont des difficultés à être transmises au public. Par ailleurs, la chercheuse conseille de réguler la publicité sur les réseaux sociaux.
Si les médias mettent en avant les changements, ils incitent à modifier les comportements. Sur le site Internet de la revue Influencia, la journaliste Christine Monfort retrace l’évolution des médias donnant des pistes de changement à travers un interview de la revue 41 d’Influencia .
Les médias généralistes ont, en effet, augmenté la couverture du changement climatique afin de créer ou de renforcer le sentiment d’éco-anxiété . Des programmations spéciales, rubriques, des séries de podcasts et d’autres newsletters montrent l’urgence des défis à relever. Les médias généralistes ont également augmenté leur couverture des phénomènes climatiques et formé leurs rédactions à ces sujets.
L’engagement des médias peut prendre aussi d’autres formes. En 2020, Arte figurait parmi les partenaires de l’enquête participative « Il est temps ». Celle-ci sondait les jeunes européens sur les enjeux climatiques, démocratiques et sociaux, révélant une génération inventive mais en colère. Pour la deuxième année consécutive, la chaîne franco-allemande et la radio France Culture ont organisé le festival international des idées de demain « Et maintenant ? ». En outre, Ouest-France a lancé à la rentrée 2022 un dispositif « Faire demain », qui proposait à ses abonnés de soutenir financièrement des initiatives responsables et solidaires créées au plus près de leur territoire et sourcées par la rédaction.
Jamais très éloignés d’un journalisme de solution ou d’impact, et basés souvent sur des modèles participatifs, plusieurs médias ont fédéré depuis une dizaine d’années un lectorat autour des thématiques : économique, écologique et sociale. Leurs approches éditoriales illustrent l’étendue des enjeux possibles. Ainsi, le bimestriel Kaizen a traité dans son numéro de rentrée les « énergies pour demain » avec des pistes pour « sortir des énergies fossiles et du nucléaire ». Socialter se penche, quant à lui, depuis 2013 sur les idées nouvelles « vers plus de justice et de démocratie, dans le respect des équilibres écologiques ».
Compte tenu de l’urgence, l’environnement prend une place très importante dans la plupart de ces médias. Le souci d’informer le public sur des enjeux complexes rencontre des difficultés liées au caractère et à la culture de chacun, notamment sur le rôle de l’innovation ou le modèle économique et social.
Au début de la crise sanitaire, le « monde d’après » avait inspiré de nombreux influenceurs. Face aux défis d’envergure systémique, les médias veulent jouer un rôle pour rendre intelligible et désirable la transition vers des modèles plus responsables. Bonne fin d’année !